Au 19e siècle, alors que plusieurs seigneuries comme la Baronnie de Portneuf et la seigneurie de Bourg-Louis (Saint-Raymond) deviennent administrées par de riches entrepreneurs anglophones, s’amorce dans la province de Québec une période de grands changements qui trouve entre autres racines d’une part dans la vague d’immigration irlandaise et écossaise que connaît le Canada et d’autre part dans le boom de l’exploitation forestière et de l’industrie lucrative qui en découle. Des communautés s’établissent un peu partout dans la province, dont le comté de Portneuf.

Église Christ Church (1842). Photo: Société d’histoire et de patrimoine Portneuf 1861.


Une première communauté irlandaise s’installe au nord du village de Portneuf[1] au début du 19e siècle et prend le nom de Halesborough, clin d’œil au seigneur de la baronnie de Portneuf Edward Hale (1789-1862)[2]. Sous l’égide du seigneur qui développe un intérêt marqué pour le commerce du bois et des pâtes et papiers, l’immigration irlandaise connaît un essor. Ainsi, une seconde communauté s’installe dans le village même de Portneuf dès la deuxième moitié du 19e siècle.

Église St-John-the-Evangelist (1884). Photo: Société d’histoire et de patrimoine Portneuf 1861.


La communauté irlandaise qui s’installe étant de confession anglicane, les besoins pour un lieu de culte sont évidents, d’autant plus que la chapelle Christ Church érigée en 1842 dans le hameau de Halesborough est trop petite et trop éloignée pour les habitants anglicans du village.

En 1873, un commerçant de Halesborough du nom de Abraham Ball cautionne en partie l’achat de la maison qui deviendra le presbytère[3] où logera le premier pasteur à desservir la région à partir de 1874, James Benjamin Debbage. Toutefois, c’est à l’arrivée du révérend Robert Walter Colston en 1880 que le projet de construire une église anglicane au village se concrétise. L’idée d’y construire un temple anglican émerge dès 1882 et l’année suivante, l’architecte Harry Staveley (1848-1925) est mandaté pour dresser les plans de l’église Saint John the Evangelist. Le 18 janvier 1884, le contrat de construction, incluant la fabrication du mobilier, dont deux fauteuils, les bancs, l’autel, la balustrade et une armoire pour la partie faisant office de sacristie, est donné à l’entrepreneur John Hatch (né vers 1858). Le temple est prêt à peine cinq mois plus tard et la première célébration est dite en juillet 1884. Toutefois, ce n’est qu’en 1888 que l’église est consacrée.

Comme pour les églises catholiques, au fil du temps l’église s’est dotée d’un instrument pour accompagner les cérémonies. Bien qu’il ne soit plus utilisé, on retrouve encore un harmonium Mason & Hamlin qui proviendrait de l’église Christ Church de Halesborough (Notre-Dame-de-Portneuf). En 1949, les fonds amassés par la communauté permettent l’achat d’un orgue électrique.

La petite église de bois a été construite dans un esprit néogothique tel que prôné par Staveley qui s’est inspiré des recommandations de la Cambridge Camden Society. Celle-ci proposait un retour à l’architecture gothique telle que retrouvée dans les milieux ruraux du Moyen âge en Angleterre pour la construction d’églises de petites dimensions. Construite face au manoir seigneurial de la baronnie de Portneuf, l’église Saint John the Evangelist témoigne de l’établissement d’une communauté anglicane à Portneuf au 19e siècle.

L’édifice religieux n’a pratiquement pas subi de modification depuis sa construction. Les fondations ont été refaites en béton et la toiture, jusqu’alors en bardeau de pin, recouverte de tôle embossée en 1905. La planche à clins du revêtement a quant à elle été installée en 1910. La seule modification majeure a été de surélever le temple d’environ un mètre en 1943.

En plus de son histoire et de sa qualité architecturale, l’emplacement du temple contribue à sa grande valeur patrimoniale, soit son implantation en retrait de la route, à proximité de l’ancien presbytère[4] et de l’ancien manoir seigneurial, sur un terrain où se trouvent des arbres matures. L’église est également inscrite au répertoire des Lieux patrimoniaux du Canada depuis 2007, en plus d’être citée immeuble patrimonial par la municipalité. Il s’agit du troisième lieu de culte anglican à avoir été érigé dans la région de Portneuf.

La Cambridge Camden Society (act. 1839-1868) est une société d’étude basée à l’Université de Cambridge en Angleterre et dont les recherches portaient sur l’architecture gothique de Grande-Bretagne. La société avait pour objectif de « promouvoir l’étude de l’architecture et des antiquités ecclésiastiques, et la restauration des vestiges architecturaux mutilés[5] ». Les membres de la société, qui avançaient que l’architecture gothique représentait « l’expression même de la religion », proposaient des modèles architecturaux respectant les exemples du patrimoine bâti religieux du Moyen âge anglais. 

 

Par exemple, la société recommandait, pour les petites églises paroissiales telles l’église Saint John the Evangelist de Portneuf, une architecture simple et modeste inspirée des églises rurales de cette époque. 

L’église Saint John the Evangelist de Portneuf est un exemple unique dans la région de Portneuf qui dénote l’influence qu’ont eu les sociétés d’études architecturales telles la Cambridge Camden Society sur l’architecture religieuse. Dans sa conception des plans architecturaux, Staveley a pris soin d’intégrer les éléments caractéristiques du style néogothique sans en surcharger l’ensemble de petites dimensions, dans un esprit de simplicité. Dans sa composition modeste, l’église est érigée selon un plan rectangulaire qui comporte une nef à un vaisseau ainsi qu’un chœur à chevet plat et un toit à deux versants. Un grand arc en mitre délimite le chœur et la nef. À noter que le chœur est dirigé vers l’est pour faire face à la Cathédrale Holy Trinity à Québec, la cathédrale du Diocèse anglican de Québec. 

Parmi les éléments caractéristiques de l’architecture néogothique intégrés par Staveley, on retrouve les contreforts le long des murs de longs pans, les ouvertures en arc brisé, la voûte lambrissée dont la charpente est apparente, les baies triples en arc brisé et le quatre-feuilles[6] de la façade ouest surmontée d’un clocheton. De plus, il s’agit du seul exemple d’église dans Portneuf pour laquelle le porche d’entrée se situe sur une façade latérale. 

Une autre particularité caractérise l’église Saint John the Evangelist : le recouvrement atypique de son toit. Le recouvrement de tôle embossée présente des motifs de feuille d’érable sur chacune des feuilles de la toiture que seul un œil attentif remarquera. Le recouvrement de tôle embossée à motifs n’a été que très rarement utilisé pour les toitures de la région[7]

L’intérieur au décor modeste est baigné d’une lumière chaude que laissent entrer les nombreux vitraux de l’église. Premier vitrail de l’édifice, les vitraux de la triple baie du chœur ont été offerts par la paroisse Saint-Matthew de Québec en 1884. Les vitraux de la façade ouest, offerts par la famille Greenough alors propriétaire de la seigneurie de Perthuis, ont quant à eux été installés en 1890. L’église possède également trois vitraux offerts par des paroissiens à la mémoire de personnes défuntes. 

L’église Saint John the Evangelist est à peu de détails près telle qu’elle l’était lors de sa construction. En 1923, un nouvel autel en chêne a été installé à la mémoire du révérend James Benjamin Debbage, premier pasteur anglican de Portneuf, puis les murs ont été recouverts de « Donnacona board [8]» vers 1940. 

À l’extérieur, la cheminée de briques rouges ajoutée après sa construction donne un charme à l’édifice blanc. 

Dans l’église Saint John the Evangelist de Portneuf, on retrouve un grand nombre d’éléments commémoratifs aux défunts de la communauté, caractérisés par l’inscription « In Memory of ». En effet, les vitraux ornant les fenêtres des murs latéraux ont été offerts par des paroissiens à la mémoire d’êtres chers, tout comme plusieurs objets liturgiques. De même, des plaques commémoratives ont été installées à la mémoire de personnes disparues. On y retrouve ainsi une plaque pour commémorer les combattants morts et blessés lors des deux guerres mondiales. De plus, au décès de ses parents, l’acteur Glenn Ford originaire de Portneuf a fait installer dans l’église une plaque commémorative pour la famille Ford. 

L’église anglicane de Portneuf a une particularité dont peu d’édifices religieux peuvent se targuer : elle a ouvert ses portes à d’autres confessions. En effet, entre 1944 et 1996, l’église est utilisée en alternance par les anglicans et les fidèles de l’Église unie du Canada et entre 2003 et 2006, l’Église Baptiste a célébré des offices dans le lieu. 

Nous tenons à remercier M. Sylvain Laperrière et M. Glenn Marcotte pour leur aide et leur collaboration à ce projet. Nous remercions également M. Pierre Gignac et la Société d’histoire et de patrimoine Portneuf 1861 pour le prêt d’images d’archives. 



[1] À cette époque, la paroisse de Notre-Dame-de-Portneuf (Portneuf-Station) n’était pas encore érigée canoniquement. Celle-ci le sera en 1861.

[2] La deuxième communauté à s’installer dans la région de Portneuf s’établit dans la seigneurie de Bourg-Louis, dans le secteur du Grand rang de Saint-Raymond.

[3] Le presbytère conservera ses fonctions jusqu’en 1979, avant d’être converti en maison privée.

[4] Aujourd’hui de l’autre côté de la route, face à l’église, le presbytère était auparavant un peu plus loin de la route avant que celle-ci ne soit agrandie dans les années 1950.

[5] Christopher Webster, « Cambridge Camden Society [Ecclesiological Society] », Oxford Dictionary of National Biography, en ligne: https://www.oxforddnb.com/view/10.1093/ref:odnb/9780198614128.001.0001/odnb-9780198614128-e-96307.

[6] Fenêtre en forme de quatre-feuilles.

[7] Apparue dans les années 1870, la tôle embossée était d’abord utilisée pour le revêtement intérieur, dont celui des plafonds. Ce n’est qu’au début du 20e siècle que son usage pour le revêtement extérieur se répand.

[8] Le « Donnacona board » était un panneau de fibre de bois produit par la Donnacona Paper de la Compagnie Price.

BOURQUE, Hélène et Paul Labrecque. « Église Saint-Thuribe. Saint-Thuribe », Inventaire et évaluation patrimoniale des églises de la MRC de Portneuf : rapport d’expertise, [Portneuf] : Comité multisectoriel du patrimoine religieux de Portneuf, 2000.

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