Église de Saint-Gilbert en feu, 4 avril 1925.

Le 4 avril 1925, c’est la catastrophe au village. En moins de deux heures, l’église de bois part en fumée. Plus rien ne subsiste, hormis quelques objets liturgiques que de braves paroissiens ont pu extirper des flammes[1]. C’est un dur coup pour la jeune paroisse fondée en 1893, elle qui a vu son presbytère être lui aussi la proie des flammes quelques années auparavant[2].

Dès le 19e siècle, des familles s’établissent aux 4e et 5e rangs de Deschambault et doivent parcourir « des kilomètres sur des chemins difficilement praticables pour se rendre à l’église de Deschambault, la plus près[3] ». De plus, faute de moyens de communication, « c’est aux portes des églises que se lisaient les avis publics[4] ». Pour remédier au problème, un dénommé Gilbert Frenette offre un terrain pour y construire un temple. La paroisse en devenir lui est tellement reconnaissante que pour l’en remercier, elle se place sous le patronage de saint Gilbert en son honneur.

Ce n’est qu’en 1893 que les paroissiens voient enfin s’ériger l’église dessinée par Zéphirin Perreault (1834-1906), architecte de Deschambault. C’est Alfred Giroux (1845-1909), issu d’une famille de bâtisseurs de Saint-Casimir, qui obtient le mandat de la construction et en octobre de la même année, l’édifice est déjà suffisamment avancé pour qu’on y installe le chemin de croix offert par Zéphirin Bouillé, pilote de Deschambault. Toutefois, il faudra attendre pas moins de neuf ans pour que le parachèvement de l’édifice religieux soit complété.

Pendant les travaux de construction, les paroissiens n’étaient pas pour autant privés d’offices religieux : les messes sont dites dans la vieille salle d’école et chez la famille Létourneau, où le curé logera jusqu’à ce que le presbytère soit fin prêt en 1894. D’ailleurs, c’est l’archevêché qui se chargera de faire construire le presbytère, reprochant à certains paroissiens leur manque de « bonne volonté ».

Construction de la deuxième église de Saint-Gilbert, 1926.

À la suite de l’incendie de 1925, la décision de reconstruire est immédiatement prise, mais cette fois-ci, l’église sera ignifuge. À l’instar d’églises européennes construites à la même époque, on lui donne une structure en acier et un plancher de béton armé, comme il devient alors de plus en plus fréquent dans l’architecture religieuse[5]. L’architecte Philéas Myrand, qui 20 ans auparavant réalisait le décor intérieur de l’église de Saint-Casimir, dresse les plans d’une église de granit gris foncé veiné de rose que l’entrepreneur Joseph Collin prélève sur le coteau de Saint-Gilbert, en direction de Deschambault. Pour construire cette église, il en coûtera 25 000$ et pas un sou de plus puisqu’il s’agit du montant maximum accordé par l’ordonnance de Monseigneur Bégin (1840-1925) lui-même. Le cardinal est clair, il faut regarder à la dépense !

Quand vient le temps de planifier le parachèvement de l’édifice, qui sera complété trois ans plus tard (1928), le curé de l’époque, l’abbé Adélard Gagnon, s’implique personnellement et s’assure que les plans du décor intérieur de Gérard Morisset[6] (1898‑1970), historien de l’art de Cap-Santé, soient dûment réalisés. Morisset prépare aussi les plans du mobilier liturgique, à l’exception des autels, soit la chaire, le banc d’œuvre, les stalles et les boiseries du chœur, la table de communion, les retables des autels latéraux, les bancs et les fonts baptismaux. Les cloches, achetées à la maison C. Émile Morissette[7] de Québec et nommées Saint-Gilbert (la), Marie (si) et Joseph (do#), seront bénies en 1930. Seul s’ajoutera, au fil des ans, l’orgue Hammond acquis à la fin des années 1950, qui profitera de l’électricité installée quelques années avant, en décembre 1945.

Dans les années 1970, l’église subira quelques modifications, lui faisant perdre ses boiseries dans le chœur et les fonts baptismaux. De plus, on déménagera dans les deux oratoires de la façade – un baptistère et une chapelle des morts – les confessionnaux auparavant installés à l’avant de la nef. En cohérence avec la volonté de rendre plus modestes les églises à la suite de Vatican II, le dôme doré couronnant le maître-autel sera lui aussi retiré, bien que ce dernier conservera malgré tout son apparence d’origine. En 2001, une table d’autel réalisée par le sculpteur Luc Gagnon de Saint-Raymond sera ajoutée dans le chœur.

L’église de campagne, entourée de champs et de forêts, figure parmi les cinq plus récentes de Portneuf. Son implantation s’inscrit dans la continuité de la route principale et l’ilot paroissial comprend l’église, le presbytère, le cimetière adjacent ainsi que son calvaire de 1944[8], œuvre de la maison T. Carli Petrucci de Montréal qui a aussi réalisé la statue du monument du Sacré-Cœur (1945) dont les plans ont été dessinés par le curé de l’époque, l’abbé Rosario Pouliot.

L’église de Saint-Gilbert, qui peut accueillir près de 280 personnes, a été reconstruite selon un plan semblable à celle qui venait de disparaître, toutes deux étant dotées d’une tour‑clocher en saillie. La nef simple qui possède une fausse voûte en bois en arcs surbaissés, ou arcs en anse de panier, est dégagée. Le plan en croix latine demeure subtil et le chevet plat du chœur donne l’impression d’une église au plan rectangulaire. De construction locale, en plus du granit prélevé à Saint-Gilbert, les chaînages d’angle et les encadrements ont été faits à partir de calcaire provenant de la carrière de Olivier Gauthier, de Saint-Marc-des-Carrières.

Avant le parachèvement de l’édifice, son intérieur est laissé en terracotta et en épinette rugueuse. Morisset y ajoutera un décor à caractère national dans le même esprit que celui réalisé à Rivière-à-Pierre[9], parsemé de gloires et de frises colorées de bleu, orange, vermillon et vert. Les motifs de croix diverses, de fleurs de lys, d’étoiles et de feuilles d’érable et de marronniers formant l’ensemble de la décoration picturale exécutée au pochoir ont aujourd’hui disparu, laissant place au crème et à l’ocre que Morisset appréciait particulièrement, lui qui considérait que le blanc et l’or donnaient un caractère terne et froid aux églises des régions nordiques. Certains de ces détails ornaient également le mobilier, dont subsistent la chaire et les bancs de la nef.

Le décor intérieur de l’église de Saint-Gilbert, baigné par la lumière chaude des fenêtres garnies de verre coloré, est modeste et épuré. On ne retrouve qu’un seul tableau, au-dessus du maître-autel, Saint Gilbert dans la gloire, peint en 1928 par sœur Marie de l’Eucharistie (1862-1946) des Sœurs de la Charité de Québec[10]. Autrement, le chemin de croix de 1926, à l’encadrement soigné, a été réalisé par le peintre Luigi Morgari (1857-1935).

L’église de Saint-Gilbert a su conserver de nombreux objets liturgiques, dont la lampe du sanctuaire, de même que les Saintes Espèces sauvées des flammes en 1925 et un petit ostensoir de 1893. De plus, on y retrouve deux reliquaires, sainte Anne et saint Gilbert, un crucifix qui contiendrait 25 reliques d’apôtres, martyrs et évangélistes, ainsi que ce qui serait une relique de la vraie croix du Christ.

Autrement, l’église possède un chapeau bien particulier! Il s’agit de la casquette du garde‑chien, ou connétable, responsable de veiller à la bonne conduite dans l’église.

À l’époque, la vie liturgique était rythmée par de nombreuses traditions auxquelles les paroissiens s’adonnaient : les Vêpres, les Quarante-Heures, les chemins de croix, le Mois de Marie et la Fête-Dieu étaient des moments revêtant d’une grande importance pour la paroisse.

L’auteure tient à remercier Mme Claudette Gignac pour sa précieuse aide et son temps.

BOURQUE, Hélène et Paul Labrecque, « Église Saint-Gilbert. Saint-Gilbert », Inventaire et évaluation patrimoniale des églises de la MRC de Portneuf : rapport d’expertise, [Portneuf] : Comité multisectoriel du patrimoine religieux de Portneuf, 2000.

Inventaire des lieux de culte du Québec, « Église Saint-Gilbert », Conseil du patrimoine religieux du Québec, 2021, [En ligne].

LABRECQUE, Paul et Hélène BOURQUE, Les églises et les chapelles de Portneuf. Cap-Santé, Québec : MRC de Portneuf, c2000, 75p. : ill.

LEMIEUX, Paul, « Elmina Lefebvre : une artiste hors normes », Magazine Gaspésie, 55(2), 5–6, 2018.

Municipalité de Saint-Gilbert, Album souvenir 100e, Saint-Gilbert 1893-1993, Saint-Gilbert [Québec] : Municipalité de Saint-Gilbert, [1993], 267 p. : ill.

Municipalité de Saint-Gilbert, « Notre histoire », consulté le 14 juin 2021 [En ligne].

PERIN, Roberto, « Bégin, Louis-Nazaire », Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 29 juin 2021, http://www.biographi.ca/fr/bio/begin_louis_nazaire_15F.html.

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Bellot, Paul », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 29 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Collin, Joseph », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 13 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Église de Saint-Gilbert », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 13 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Morgari, Luigi », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 30 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Morisset, Gérard », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 29 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Myrand, Philéas », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 13 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Nadeau Jean-Thomas », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 29 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Perrault, Zéphirin », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 29 juin 2021].

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « T. Carli et Petrucci Limitée », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], [consulté le 29 juin 2021].

TRÉPANIER, Paul, « Alfred Giroux (1845-1909) : l’architecte méconnu de la dynastie des bâtisseurs Giroux », Le Cageux, Saint-Casimir : Société d’histoire et de généalogie de Saint-Casimir 20 (1), 2017, p. 8.

VANLAETHEM, France, « Un matériau mal-aimé, mais à redécouvrir », Le Devoir, 14 octobre 2014, [En ligne], [consulté le 29 juin 2021].

Ville de Québec, « Dom Bellot », Répertoire du patrimoine bâti, Ville de Québec [En ligne], [consulté le 29 juin 2021].

[1]  Malgré la sauvegarde de certains objets, ceux-ci n’étaient plus en nombre suffisant pour les offices. Il fallut donc en emprunter à l’église de Saint-Marc-des-Carrières le temps de remédier à la situation.

[2]  Le premier presbytère de Saint-Gilbert a été détruit par les flammes dans la nuit du 7 juillet 1914.

[3] Voir Municipalité de Saint-Gilbert, « Notre histoire », [En ligne].

[4] Municipalité de Saint-Gilbert, Album souvenir 100e, Saint-Gilbert 1893-1993, Saint-Gilbert [Québec] : Municipalité de Saint-Gilbert, [1993], p.36.

[5]  Le moine architecte Dom Bellot (1876-1944) sera précurseur dans l’utilisation du béton armé pour la charpente des églises et contribuera à sa popularisation dans l’entre-deux-guerres. Établit au Québec à partir de 1936, il exercera une grande influence sur d’autres architectes du Québec qui contribueront à l’utilisation de ses méthodes de construction.

[6]  À l’époque, Gérard Morisset pratiquait encore en tant que notaire. Toutefois, sous le concours de l’abbé Jean-Thomas Nadeau, Morisset développera ses connaissances en art et en patrimoine et deviendra un éminent historien de l’art au Québec.

[7] C. Émile Morissette, Limitée était le représentant général des cloches de la célèbre fonderie Paccard d’Annecy (France) en Amérique du Nord.

[8]  Le calvaire était un don de M. Arthur Morissette.

[9]  L’abbé Nadeau s’assurera lui-même qu’il n’y ait pas de redite dans le décor de l’église de Saint-Gilbert. L’édifice devait avoir ses propres qualités et son originalité.

[10] Soeur Marie-de-l’Eucharistie, née Marie-Elmina Lefevbre, est une peintre prolifique qui a produit plus de 300 tableaux. Elle a été l’élève des peintres Eugène Hamel (1845-1932), Charles Huot (1855-1930) et Robert Wickenden (1861-1931).

Projet réalisé par

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DIRECTION TECHNIQUE
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RECHERCHE
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RÉVISION DES TEXTES
ÉLIANE TROTTIER

PHOTOGRAPHIE
DENIS BARIBAULT

VISITE PANORAMIQUE
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INTÉGRATION WEB
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