D’emblée, l’église de Saint-Marc-des-Carrières apparaît comme la plus moderne de Portneuf et se présente comme un édifice religieux à l’histoire récente. Pourtant, un œil averti remarquera la façade de pierre de 1901, suspendue entre deux époques, témoin de son passé et de l’histoire du village.
La pierre calcaire utilisée pour le parement de l’église, tout comme pour de maintes demeures de la paroisse, rappelle fièrement qu’elle est la principale ressource ayant contribué au développement et à l’essor du village. Alors que celui-ci n’est encore qu’un rang de Saint‑Alban, de nombreuses familles d’ouvriers y affluent pour s’établir à proximité des carrières de calcaire. Toutefois, cette « bourgade industrielle[1] » qui se développe est loin du village de Saint-Alban et de son église. Il faut parcourir une longue distance pour se rendre à l’office et la condition ouvrière de plusieurs familles fait en sorte qu’elles n’ont pas toutes les moyens de posséder une voiture pour voyager jusqu’à Saint‑Alban pour la messe.
Certains habitants se regroupent pour faire une demande formelle à l’archevêché afin d’obtenir une desserte et construire une modeste chapelle en bois. Toutefois, cette requête suscitera la grogne chez le curé de Saint-Alban et les paroissiens du rang des Carrières mettent le feu aux poudres lorsqu’ils présentent leur intérêt de construire, en fait, une chapelle bien plus vaste en pierre de taille. Mais c’est une église qu’ils demandent! Qu’à cela ne tienne, ils obtiendront gain de cause et l’archevêque consentira à l’érection d’une nouvelle paroisse qui sera érigée le 28 octobre 1901[2]. En attendant la construction de la nouvelle église, c’est un hangar qui fait office de chapelle temporaire, où est aussi célébrée la première messe de la paroisse le 28 avril 1901.
L’architecte Joseph-Georges Bussières (1869-1916), qui a travaillé sur les églises de Grondines (1895), Saint-Thuribe (1901) et Rivière-à-Pierre (1909), dessine les plans d’une église singulière dans Portneuf, avec son unique clocher sur la droite du portique. On l’érige sur le terrain généreusement offert par l’entrepreneur chargé des travaux, Damase Naud (1848‑1916), qui fera également don de la pierre provenant de sa carrière. L’église à peine terminée et avec pour seul mobilier un autel récupéré d’un hangar de Pont‑Rouge[3], la première messe est dite le 1er décembre 1901.
Deux ans après la bénédiction du temple, le 9 juillet 1902, la fabrique fait l’acquisition de l’autel principal[4] et de l’harmonium de Grondines et on s’affaire à planifier un premier agrandissement. Bien qu’un jubé ait été ajouté l’année précédente, il faut construire deux galeries latérales, car la nef ne suffit déjà plus! Les modifications se faisant au gré de la croissance du village, en 1912 on remplacera les chaises de la nef par des bancs[5] et en 1946 on prolongera les galeries latérales pour compenser la démolition du petit jubé et le retrait de bancs dans le grand jubé pour y installer l’orgue Casavant[6].
En 1951, on procède à l’électrification des cloches. Toutefois, on est loin de se douter que ce système fraîchement installé sera la possible cause de l’incendie qui se déclarera au petit matin, plus de 35 ans plus tard. Le 9 mai 1987, le curé Bernard Tessier sonne l’alarme, mais seuls les murs survivront au choc et tiendront debout. C’est l’architecte Michel Dallaire qui relèvera le défi de reconstruire une église qui saura mettre en valeur la façade de Bussières et de la couronner d’un nouveau clocher. Pendant les travaux, les messes sont dites à l’école, mais cela ne durera qu’une année puisque le 5 novembre 1988 a lieu la réouverture du temple. Lors de la reconstruction, on prendra soin d’aménager, dans la tour, une petite chapelle d’adoration où sera installée en 2012 une sculpture d’un artiste de Deschambault, C. Laflamme.
Comme le laisse deviner la façade de pierre, l’église Saint-Marc a été construite dans un esprit néogothique[7] qui se reconnaissait à l’asymétrie de sa façade et par les pinacles qui la surplombait. Bussières signera également en 1904 le décor intérieur, qui sera à nouveau exécuté par Damase Naud pour l’application des enduits et des éléments décoratifs.
L’église qui était richement ornée d’une abondance de détails et d’éléments décoratifs sera considérablement modifiée à la fin des années 1960, dans la continuité du renouveau liturgique apporté par Vatican II. Les galeries latérales seront retirées, tout comme une grande partie du mobilier et du décor de Bussières complété en 1905.
Lors de la reconstruction de l’église en 1987, l’heure n’est plus au faste. Dallaire dessine une église sobre et modeste, tant par ses dimensions que son décor intérieur. L’architecture religieuse ayant considérablement évoluée depuis le tournant des années 1960, il importe davantage de construire une église selon un plan qui favorise une plus grande proximité entre l’assemblée et l’officiant. Le plan rectangulaire élargi de Dallaire et la nef basse à deux versants sont caractéristiques des églises des années 1980 au Québec. Malgré l’étroitesse des fenêtres de la nef, l’église est baignée de lumière par la verrière en angle derrière le chœur. Enfin, le nouveau clocher donne au bâtiment une apparence plus massive, mais l’asymétrie de Bussières a su être conservée.
L’orgue Casavant de 1946 ayant disparu dans l’incendie, un petit orgue électrique a été installé dans la nef, à la droite du chœur. De plus, pour compléter le mobilier de l’église, les bancs, tout comme le chemin de croix en bronze, ont été récupérés de l’église St. Patrick de Québec, démolie en 1988. L’église possède en plus trois icônes[8] réalisées par l’artiste Denise Gosselin Gravel, saint Marc, Jésus Miséricorde[9] et saint Joseph et l’Enfant Jésus[10]. Une reproduction de l’icône de Notre-Dame Porte du Ciel complète l’ensemble.
Enfin, le tabernacle, qui aurait été acheté dans les années 1970 par la Fabrique, a pu être sauvé de l’incendie[11]. Il s’agit d’un des rares objets à provenir de la première église, avec la cloche Paccard sur laquelle repose la table d’autel de granit. L’église de 1901 possédait trois cloches bénites en 1903, soit Sacré-Cœur de Jésus (fa#), Marie Immaculée (sol#) et Saint-Joseph et Saint-Marc (la#).
Malgré les changements architecturaux majeurs apportés à l’église, l’îlot paroissial de Saint‑Marc‑des‑Carrières a conservé son unité par l’omniprésence d’un élément clé : la pierre calcaire, la même qui a fait naître le village.
Située de l’autre côté de la rue, face au monument du Sacré-Cœur (1932), une demeure porte l’inscription A.D. 1901. Construite la même année que l’église, il s’agit du premier presbytère qui était devenu trop étroit pour les besoins de l’époque. Afin d’éviter sa démolition, le lambris de pierre est retiré et le bâtiment est vendu aux enchères en 1916 à la porte de l’église[12]. Le nouveau presbytère en pierre sera construit au même emplacement que le premier, mais prendra des dimensions beaucoup plus grandes.
En 1924, un calvaire est installé dans le cimetière : la Deschambault Quarry[13] fait don d’une croix de pierre pour remplacer l’ancienne croix de bois. À l’époque, le cimetière dont l’entrée est parée d’une clôture de fer forgé était doté d’un charnier[14] situé sur la gauche. Devant l’entrée du cimetière se trouve, de plus, une statue de la Vierge.
Parmi les monuments funéraires du cimetière, on remarque un imposant mausolée richement orné et sculpté dans la pierre. Il s’agit du tombeau d’Adélard Vézina (1880‑1969), célèbre sculpteur de Saint-Marc-des-Carrières à qui l’on doit le monument du Sacré-Cœur de 1932 pour lequel une cinquantaine de tailleurs de pierre ont contribué bénévolement. Alors que la crise économique des années 1930 touchait durement les carrières, la réalisation de ce monument a permis à bon nombre d’entre eux de mettre leur talent à profit.
En 1931, la construction du couvent qui accueillera les institutrices religieuses de l’Enfant‑Jésus de Chaufailles complètera l’îlot paroissial et deviendra l’école primaire Sainte-Marie.
L’auteure tient à remercier M. Albert Tessier pour sa précieuse aide et son temps.
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[1] Alain Gariépy, « De la bourgade industrielle au centre régional de services », Saint-Marc-des-Carrières, 1901-2001 : une histoire marquée par la pierre, sous la direction de Alain Gariépy et Hélène Bourque. Saint-Marc-des-Carrières : Le Comité, 2000, p.29.
[2] Celle-ci sera mise sous le patronage de Saint-Marc, en souvenir de la basilique Saint-Marc de Rome que l’archevêque Mgr Bégin (1840-1925) aimait visiter lors de ses séjours dans la ville sainte.
[3] D’après les archives paroissiales.
[4] C’est M. Ferdinand Leclerc qui aurait fait un don important permettant d’acquérir l’autel.
[5] Les bancs avaient été dessinés par les architectes Ouellet et Lévesque.
[6] Il s’agissait d’un orgue Casavant de 402 tuyaux, modèle No. 206 U.
[7] Hélène Bourque, « Saint-Marc-des-Carrières : une église qui renaît », Continuité (41), Automne 1988, p. 11.
[8] Une icône est la représentation d’un personnage saint de la chrétienté.
[9] Cette icône représentant vingt scènes bibliques et quarante saints a été commandé par le curé Henri‑Paul Potvin.
[10] Seule cette icône est signée et est datée du 1er mai 1990.
[11] L’entreprise Vohl Inc. de Saint-Marc-des-Carrières a généreusement offert la restauration du tabernacle à la suite de l’incendie.
[12] L’offre minimale devait être de 225$ et c’est Narcisse Naud qui l’achètera pour 440$.
[13] La Deschambault Quarry était l’une des carrières de pierre de Saint-Marc-des-Carrières.
[14] Le charnier pouvait accueillir jusqu’à 24 défunts.
RECHERCHE
LAURA TROTTIER
RÉVISION DES TEXTES
ÉLIANE TROTTIER
PHOTOGRAPHIE
DENIS BARIBAULT
VISITE PANORAMIQUE
EMY VALLIÈRES
INTÉGRATION WEB
SIMON PARADIS-DIONNE