L’église de Rivière-à-Pierre n’a rien perdu de son charme. Tout juste avant l’embouchure de la rivière Blanche, de l’autre côté du pont enjambant « la rivière à Pierre » se trouve l’église, bien ancrée dans ce décor bucolique, entourée de collines, de forêt et de nombreux lacs. C’est d’ailleurs la rivière et la forêt verdoyante qui ont attiré les premiers colons vers Rivière-à-Pierre.

Bien que le village de Rivière-à-Pierre n’ait été fondé qu’une vingtaine d’années avant la construction de l’église, celle-ci n’est pas le premier temple du village. Dès 1883, les premiers colons arrivent à ce territoire tout au nord du comté de Portneuf, suivant l’exemple de quelques chasseurs qui les avaient précédés en se rendant à la rivière à Pierre. Par ailleurs, il existe plusieurs hypothèses quant à l’origine de ce surnom qui a donné son nom au village officiellement en 1948: certains avancent que le lit de pierre de la rivière lui aurait valu ce surnom, alors que d’autres préfèrent l’idée selon laquelle un certain Pierre avait pris l’habitude d’y venir pêcher. Toutefois, s’agit-il de Pierre Tharazeth, un Huron qui venait y pêcher et chasser ou de Pierre Beaupré qui serait venu de L’Ancienne-Lorette avec Jean Voyer en 1883-1884?

Qu’à cela ne tienne, en 1883, les premières terres sont concédées au Canton Bois, première appellation du territoire[1], et en 1884, la mission Saint-Bernardin-de-Sienne y est créée. Le développement va bon gré et il est grandement aidé par le prolongement du chemin de fer à partir de Saint-Raymond en 1885. La même année, la route entre Notre-Dame-des-Anges, village bordant la rivière Batiscan à quelques kilomètres au sud-ouest, et la mission est ouverte, ce qui permettra au curé de Notre-Dame-des-Anges de venir visiter les fidèles nouvellement établis dans le nord. En 1890, c’est l’ouverture des registres de la paroisse de Saint‑Bernardin-de-Sienne et l’abbé François-Xavier Couture devient le premier curé résident. Pour ce faire, il faut donc construire une première chapelle en cette même année. Chacun y participe donc de son temps ou de son argent. Située à proximité de l’emplacement actuel de la grotte de Lourdes[2], elle fait aussi office de presbytère jusqu’en 1894 et d’école jusqu’en 1902. En 1894, la construction du presbytère sous le second curé, l’abbé Louis Garon, permet d’agrandir la chapelle et en 1895, la première cloche résonne enfin dans les montagnes de Canton Bois.

En 1899, un nouveau curé, Odilon Blanchet, arrive à Canton Bois, un peu à reculons; c’est tellement loin Rivière-à-Pierre! Cela dit, c’est sous son égide que la paroisse prendra réellement forme : un couvent, une église, un nouveau presbytère et un nouveau cimetière verront le jour, en plus du réseau d’aqueduc.

Au tournant du siècle, des besoins pressants se font sentir. D’abord, un couvent qui sera sous la tutelle des Sœurs Servantes du Sacré-Cœur-de-Marie est construit en 1902, permettant ainsi de laisser à la chapelle toute sa vocation cultuelle, puis, en 1908, le curé Blanchet fait officiellement la demande pour la construction d’une nouvelle église, et au passage d’un nouveau presbytère ainsi que d’un nouveau cimetière. La chapelle est devenue trop petite pour les besoins de la paroisse qui s’agrandit encore. Un paroissien, M. Joseph Martineau, offre même le terrain! À condition d’être enterré sous le temple… Selon les dires de l’époque, le curé l’aurait convaincu que le temps y serait bien long seul et qu’il serait mieux d’aller avec tous les autres, au cimetière.

En 1909, l’église est enfin construite selon les plans de l’architecte Joseph-George Bussières (1869‑1916), natif de Pont-Rouge[3]. Les travaux de maçonnerie sont réalisés par Flavien Dorval, tandis que la charpenterie est le travail de Olivier Michaud, tous deux de Lévis. Déjà, le 16 décembre 1909, l’église est bénie. Toutefois, si la construction semble avoir été très rapide, c’est qu’en réalité le bâtiment reste inachevé jusqu’en 1926. En effet, lors de la construction en 1909, un mur temporaire est érigé à l’avant de la nef, laissant le temple sans chœur ni sacristie. Sans plus tarder, le presbytère, aussi l’œuvre de Bussières, est construit à son tour l’année suivante en 1910 et en 1911 le réaménagement de l’ilot paroissial était complété avec le déménagement du cimetière sur le même site.

« Dix-sept ans durant, les paroissiens, avec une patience qu’on ne peut s’empêcher d’admirer, fréquentèrent leur église, bravant le froid et l’humidité et fermant les yeux sur l’aspect minable et la pauvreté de leur temple. »[4]

L’apparence « désolante » de l’église incomplète, vertement critiquée encore bien des années après sa finition par le curé Bilodeau dans l’édition du Murmure de la rivière du 21 février 1937, est corrigée dès l’été 1926. L’église est ainsi prolongée du chœur et de l’abside pour la somme de 20 000$[5] et sa finition intérieure est complétée. Touche finale, la chaire de granite de Rivière-à-Pierre est installée sur le côté gauche dans la nef en août 1937[6].

Ce sont les derniers travaux majeurs apportés à l’église jusqu’à ce que la réforme imposée par Vatican II vienne altérer le décor intérieur. En effet, en 1964, le décor intérieur sera mis à mal : l’architecte Sylvio Brassard a pour mandat de rendre l’église au goût du jour. La chaire de granite est échangée au Montmartre Canadien de Québec contre un système d’amplificateur adéquat, l’autel central et l’ambon font leur apparition dans le chœur, de même que les boiseries et les motifs au pochoir qui ornaient la voûte du chœur disparaissent sous la peinture blanche. L’année suivante, à l’occasion du 75e anniversaire de la paroisse, on procède à la bénédiction des cloches, puisque trois nouvelles, fabriquées par la Fonderie Paccard[7] en France, viennent compléter le carillon[8].

En décembre 1990, la chaire revient au village et trouve sa place dans le chœur de l’église et en 1999, la paroisse procède à la restauration des boiseries, leur redonnant ainsi leur vernis et leur lustre d’antan.

La simplicité et l’architecture classique de l’église de Rivière-à-Pierre lui confèrent tout son charme. Les boiseries vernies du chœur et de la nef, de même que le revêtement de pierre en granite à bossage[9] issue des carrières locales évoquent l’environnement et la nature qui entoure le temple, bien ancré au pied des Laurentides. Bussières a réalisé une église à l’architecture d’une grande qualité selon un plan de construction simple à nef unique – plan rectangulaire avec une abside[10] en hémicycle – où règne l’équilibre et dont le clocher en saillie sur la façade lui donne un air imposant juchée sur son promontoire, face au pont.

Bien que l’église ait été construite en 1909, ce n’est qu’en 1926 que les travaux d’élévation du chœur et de parachèvement de la finition intérieure sont entrepris. Ainsi, en 1927 la paroisse fait appel à Gérard Morisset (1898-1970), spécialiste de l’histoire de l’art du Québec natif de Cap‑Santé, pour concevoir les plans et dessins du décor intérieur : éléments d’ornementation, trône épiscopal, boiseries et tribune d’orgue prendront enfin place dans l’église. Morisset propose une décoration intérieure sobre qui s’harmonise parfaitement aux lignes du bâtiment, mais y ajoute quelques éléments innovateurs pour l’époque : feuilles d’érable et fleurs de lis seront peintes au pochoir dans la voûte du chœur et orneront les boiseries, ce qui viendra amplifier le rappel de la nature dans l’église. Ainsi, la balustrade, les confessionnaux, les fonts baptismaux, de même que les deux prie-Dieu, sont tous décorés de ces motifs. C’est Honoré Beaugrand, de Saint-Raymond, qui sera chargé de réaliser les travaux de finition intérieure[11], alors que le mobilier sera confié à Eugène Gagnon[12], menuisier de L’Islet, et qu’Arthur Juneau, de Québec, mettra la touche finale à la décoration picturale et aux boiseries.

Enfin, si on ne retrouve pas de vitraux dans l’église, quelques verres de couleur viennent rehausser la fenestration. Autrement, l’église de Rivière-à-Pierre ne possède pas d’objets d’art religieux notoires. Toutefois, certains éléments méritent d’être mentionnés, comme le chemin de croix du peintre originaire de Turin, en Italie, Luigi Morgari (1857-1935)[13]. De plus, une particularité intéressante à l’église de Rivière-à-Pierre est qu’on ne retrouve pas seulement qu’une, mais bien deux lampes du sanctuaire, prenant place de chaque côté de la table d’autel. En plus du maître‑autel d’origine qui, comme les stalles, a conservé sa place dans le chœur, deux autels latéraux dédiés à Joseph et Marie se trouvent de chaque côté du chœur. Parmi les statues qu’on retrouve dans l’église, Saint-Hubert, patron des chasseurs, rappelle le lien étroit de la communauté avec la nature et la pratique de la chasse. Finalement, exposé dans l’église se trouve un crucifix de bonne dimension décoré de marqueterie : celui-ci serait un don d’un curé de la paroisse qui l’aurait rapporté de Jérusalem.

Si le décor intérieur de l’église Saint-Bernardin-de-Sienne dégage un caractère sobre, certains éléments pourraient toutefois étonner les visiteurs. Plusieurs animaux empaillés trônent fièrement dans le chœur et près des autels latéraux. Cette particularité au sein même du lieu de culte n’est pas sans rappeler la nature foisonnante qui entoure Rivière-à-Pierre, mais elle décore surtout l’église pour un événement unique qui s’y tient chaque année depuis 1971, le Festival du chasseur. C’est d’ailleurs le curé de l’époque, Édouard Rancourt, qui en avait fait l’organisation avec l’aide des paroissiens. Tentes, arbres, animaux empaillés et camion transformé en trophée de chasse décoraient ainsi l’église pour la première édition de l’événement.


En plus d’accueillir le festival, neuf bancs à l’arrière de l’église ont été retirés pour faire place au Café de l’amitié : tous les dimanches, après l’office, les paroissiens sont invités à se réunir autour d’un café afin d’échanger. Cette initiative contribue à garder une belle vie de communauté au village. De plus, tous les deuxièmes dimanches de chaque mois a lieu la messe familiale et les enfants sont invités à se joindre au Café de l’amitié où jus et biscuits les attendent.

Le cimetière de Rivière-à-Pierre est d’un grand intérêt ethnohistorique en raison de la présence marquée de scènes gravées sur les monuments funéraires. Cette caractéristique reflète non seulement le savoir-faire des tailleurs de pierre locaux, mais aussi la relation étroite des citoyennes et des citoyens avec la nature, plusieurs gravures représentant la forêt ou encore des scènes de chasse et de pêche.

BOURQUE, Hélène et Paul Labrecque, « Église Saint-Bernardin-de-Sienne. Rivière-à-Pierre », Inventaire et évaluation patrimoniale des églises de la MRC de Portneuf : rapport d’expertise, [Portneuf] : Comité multisectoriel du patrimoine religieux de Portneuf, 2000.

Caisse populaire de Rivière-à-Pierre, 100 ans d’histoire 1890-1990, Rivière-à-Pierre, cté de Portneuf, [Rivière-à-Pierre, Québec] : Caisse populaire de Rivière-à-Pierre, 1990.

Inventaire des lieux de culte du Québec, « Église Saint-Bernardin-de-Sienne », Conseil du patrimoine religieux du Québec, 2012, [En ligne], http://www.lieuxdeculte.qc.ca/fiche.php?LIEU_CULTE_ID=4571.

Inventaire des lieux de culte du Québec, « Joseph-Georges Bussières (1869-1916) », Conseil du patrimoine religieux du Québec, 2012, [En ligne], https://www.lieuxdeculte.qc.ca/concepteur.php?id=538.

LABRECQUE, Paul et Hélène BOURQUE, Les églises et les chapelles de Portneuf. Cap-Santé, Québec : MRC de Portneuf, c2000, 75p. : ill.

Ministère de la Culture et des Communications, « Comté de Portneuf. Analyse du paysage architectural : Étude synchronique des lieux : Étude thématique de l’architecture », Macro-inventaire des biens culturels du Québec. Ministère des Affaires culturelles, Direction générale du patrimoine, Service des inventaires, Québec : 1982.

Ministère de la Culture et des Communications, « Glossaire. Vocabulaire de l’architecture québécoise », Ministère de la Culture et des Communications du Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2015, 76p., [En ligne], https://www.mcc.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/patrimoine/Glossaire_vocabulaire-architecture-quebecoise.pdf.

MRC de Portneuf, « Rivière-à-Pierre », MRC de Portneuf, 2017, [En ligne], https://portneuf.ca/amenagement-territoire/municipalites-constituantes/riviere-a-pierre/.

MRC de Portneuf. Caractérisation et évaluation des paysages de la MRC de Portneuf. Pour un aménagement durable des paysages humanisés portneuvois. Volume 2, Fiches synthèses par municipalité. Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale. Ruralys, 2014, 143 p.

Municipalité de Rivière-à-Pierre, « Dates significatives », Rivière-à-Pierre, 2015 [En ligne], https://riviereapierre.com/historique-du-nom/.

Municipalité de Rivière-à-Pierre, « Historique du nom », Rivière-à-Pierre, 2015 [En ligne], https://riviereapierre.com/historique-du-nom/.

Portneuf Culturel, « Église Saint-Bernardin-de-Sienne de Rivière-à-Pierre », Les Voies du Sacré, Portneuf Culturel, consulté le 31 mai 2020 [En ligne], http://portneufculturel.com/wp/project/eglise-saint-bernardin-de-siennes-de-riviere-a-pierre/.

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Bussières, Joseph-George », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=7311&type=pge#.XsvnhjpKjIU.

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Cimetière de Saint-Bernardin-de-Sienne », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=114869&type=bien#.XsvmmzpKjIU.

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Dorval, Flavien », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=12404&type=pge#.XsvnjzpKjIU.

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Église de Saint-Bernardin-de-Sienne », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=114867&type=bien#.XsvmoDpKjIU.

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Michaud, Olivier », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=12405&type=pge#.XsvnkjpKjIU.

Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec, « Presbytère de Saint-Bernardin-de-Sienne », Ministère de la Culture et des Communications, 2013, [En ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=114868&type=bien#.XsvmozpKjIU.

Société d’aide au développement de la collectivité de Portneuf, Clin d’œil sur Rivière-à-Pierre… d’hier à aujourd’hui, Donnacona : Société d’aide au développement de la collectivité de Portneuf, 2006.

[1] Canton Bois devient officiellement une municipalité en 1897 et conservera ce nom jusqu’en 1948.

[2] La grotte de Lourdes, abritant une statue de la Vierge, a été construite en 1940, entre autres par de jeunes hommes demandant à la Vierge de les protéger durant la guerre (Seconde Guerre mondiale, 1939-1945).

[3] L’église de Rivière-à-Pierre sera, par ailleurs, le dernier bâtiment religieux dont Joseph-George Bussières dessinera les plans dans Portneuf.

[4] Caisse populaire de Rivière-à-Pierre, 100 ans d’histoire 1890-1990, Rivière-à-Pierre, cté de Portneuf, [Rivière-à-Pierre, Québec] : Caisse populaire de Rivière-à-Pierre, 1990, p.74.

[5] Archives de la MRC, information provenant d’une lettre de l’archevêché de Québec le 10 août 1926.

[6] En plus de la chaire, Rivière-à-Pierre possède un autre élément religieux d’importance fabriqué à même le granite du village : une réplique de la Croix de Gaspé réalisée en 1934 à l’occasion du 400e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier.

[7] Fonderie de renom située à Annecy-le-vieux, aujourd’hui à Sévrier, en France.

[8] Lors de la bénédiction des cloches, un nom leur est chacune attribué : la note fa est Saint-Bernardin-de-Sienne, la est Sacré-Cœur-de-Jésus, si porte le nom de Marie et enfin do# se nomme Joseph.

[9]En architecture, le bossage est un aspect en saillie – une apparence bombée – volontairement donné à une pierre taillée.

[10] L’abside est l’extrémité en demi-cercle qui se trouve derrière le chœur d’une église.

[11] Honoré Beaugrand réalise, de janvier à octobre 1927, l’ornementation, le trône épiscopal, les boiseries et la tribune de l’orgue.

[12] Eugène Gagnon a réalisé les bancs, les stalles, la table de communion et les confessionnaux.

[13] Luigi Morgari a aussi réalisé le chemin de croix de l’église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs de Portneuf.

Projet réalisé par

Équipe

DIRECTION TECHNIQUE
AARON BASS

RECHERCHE
LAURA TROTTIER

RÉVISION DES TEXTES
ÉLIANE TROTTIER

PHOTOGRAPHIE
DENIS BARIBAULT

VISITE PANORAMIQUE
ÉMILE COUTURE ET EMY VALLIÈRES

INTÉGRATION WEB
SIMON PARADIS-DIONNE

Ce projet a été rendu possible grâce à